Jugement de la Cour Supérieure du Québec (2): il faut autoriser la promotion de la vape comme alternative au tabac qui tue

La Cour supérieur du Québec défend le droit à l'information sur la réduction des risques

« Le problème avec les restrictions actuelles, c’est que le public, particulièrement les fumeurs, ne fait pas la différence entre fumer et vapoter. Il faut permettre de publier la différence. Plutôt que de la taire, il faut parfois éduquer et faire savoir que le vapotage existe avant tout pour les fumeurs ». Le verdict de la Cour Supérieure du Québec, rendu le 3 mai, est un jugement majeur pour les droits à l’accès au vapotage en tant que moyen de réduction des risques face au tabagisme. Dans ce second billet, nous présentons un passage concernant la liberté d’expression, et donc aussi celui d’être informé, à propos de la réduction des risques face aux produits fumés grâce au vapotage.

La question est d’importance en premier lieu pour les québécois privés d’information, y compris scientifique, en raison de cette loi bâillon. Mais le sujet est aussi un enjeu en France, où la menace d‘amende jusqu’à 100’000€ plane toujours sur toute publicité ou « propagande », à la définition extrêmement floue. En Suisse, les projets de loi au niveau fédéral (LPTab) et des cantons (notamment à Genève) pourraient créer une situation similaire aux problèmes rencontrés au Québec. Après l’introduction de la loi en novembre 2015, une large partie des commerces spécialisés de vapotage ont été contraints de fermer dans la province francophone.

Ce procès fait suite aux requêtes de l’Association québécoise des vapoteries (AQV) et de l’Association canadienne du vapotage (ACV). Dans son jugement, la Cour Supérieure demande à l’Etat du Québec de modifier dans les six mois sa loi de novembre 2015 pour autoriser aux fumeurs le désirant de pouvoir essayer le vapotage en boutique ou dans les lieux d’aide à l’arrêt tabagique, présenté précédemment. Ainsi que de modifier les interdictions de publicité de l’article 24 (les §4, §18 et §9), comme l’explique ce second extrait du jugement.

Est-ce que certaines dispositions de la loi Québécoise de novembre 2015 contreviennent au droit fondamental de la liberté d’expression ?

Extraits (nos emphases) du Jugement des requêtes n° 200-17-023732-167 et n° 500-17-093397-167, du 3 mai 2019 par la Cour Supérieure (Chambre civile) du Québec (Canada).

[348] Il est reconnu, en jurisprudence, que la liberté d’expression peut être brimée au niveau du contenu ou de la forme (incluant l’endroit) ou d’une combinaison des deux. Le contenu vise le message lui-même alors que la forme concerne plutôt la façon de le transmettre, son accès ou sa disponibilité auprès du public. […] 

[357] Il en résulte [des §4, §8, §9 de l’article 24 de la loi] notamment que personne ne peut faire de publicité directe ou indirecte sur le vapotage, l’un de ses produits ou marque, sauf circonstances bien précises. On pense ici à l’exception du second aliéna. Les commerçants sont donc muselés en grande partie. 

[358] A ce stade de l’analyse, le Tribunal conclut qu’il y a violation de la liberté d’expression. Reste à voir si elle est justifiée. […] 

[362] Qu’en est-il de la proportionnalité entre la mesure choisie et l’objectif recherché eu égard aux trois exigences du test ? 

[363] Essentiellement, le législateur vise à accroître la lutte au tabagisme, favoriser la cessation de l’usage du tabac par ses utilisateurs, prévenir les non-fumeurs (notamment les jeunes) d’y recourir et protéger la santé de tous, entre autres en ce qui concerne la fumée secondaire. Ces objectifs sont louables, compréhensibles, reconnus et acceptés. 

[364] Aux fins de soupeser objectifs et mesures, il convient rappeler, encore une fois, les constats qui se dégagent de la preuve attendue. La cigarette-électronique n’implique ni tabac, ni combustion. Sans en connaitre tous les risques, selon ce que l’on en sait à ce jour, elle s’avère moins nocive ou nuisible que la cigarette ordinaire. Elle peut aider à cesser de fumer. Elle contient généralement de la nicotine et ne règle pas le problème de dépendance s’y rattachant. 

[365] Autrement dit, il s’agit d’un moyen pouvant s’avérer positif et avantageux pour le fumeur d’habitude s’il arrive à cesser de fumer. A l’inverse, l’effet peut être négatif pour le non-fumeur qui s’y adonne dorénavant. 

[366] Or, les dispositions attaquées, en matière de publicité, tiennent compte du bien-être des non-fumeurs mais semblent délaisser un important segment de la population, c’est-à-dire les fumeurs réguliers. 

[367] Existe-t-il une solution moins drastique qui permette une conciliation des intérêts des deux groupes ? Aux yeux du juge soussigné, la réponse est affirmative et rien n’en établit l’inefficacité. Que la publicité interdite par les articles 24 (4), (8) et (9) soit autorisée en autant qu’elle cible, clairement et uniquement, les fumeurs et qu’on la présente comme moyen de cessation tabagique. Rien d’autre. 

[368] Autrement dit, qu’on la décrive et qu’on en fasse la promotion à une seule fin soit celle d’alternative à la cigarette ordinaire et au tabac qui tue. Bien évidemment, cette publicité pourra être lue et vue par des non-fumeurs, le tribunal en convient. Mais ceux-ci sauront que c’est une solution pour arrêter de fumer et pourront faire la part des choses. Des fumeurs pourront être informés qu’il existe une méthode de cessation tabagique qui mérite d’être mieux connue. Les non-fumeurs sauront que le produit est destiné aux fumeurs. Tous sauront à quoi s’en tenir. 

[369] Parallèlement à cela, les interdictions de publicité destinée aux mineurs, de type style de vie, etc. demeurent. On est loin d’une absence de limites où tout est permis. 

[370] La défenderesse [l’Etat du Québec] n’a aucunement abordé cette alternative, qui porte moins atteinte aux droits des fabricants, vendeurs et boutiques et à ceux qui pourraient bénéficier du résultat, c’est-à-dire ceux qui vont arrêter de fumer grâce à la cigarette-électronique. 

[371] Le problème avec les restrictions actuelles, c’est que le public, particulièrement les fumeurs, ne fait pas la différence entre fumer et vapoter. Il faut permettre de publier la différence. Plutôt que de la taire, il faut parfois éduquer et faire savoir que le vapotage existe avant tout pour les fumeurs. La législation fédérale est plus permissive à ce sujet et distingue les règles de publicité sur le tabac (plus sévères) de celles sur le vapotage. Au Québec, certaines limites ont une portée excessive.

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